Les experts amis amis

On cause beaucoup dans les cercles à la page, du « penseur de l’incertitude » Nassim Nicholas Taleb et de son bouquin
«le cygne noir»(ed Les Belles Lettres).
Cet ouvrage semble donner une clé de lecture aux événements spectaculaires qu’on a connu récemment.
Pour vous en éviter la lecture, je vous résume.

Un « cygne noir » est « ce qui nous paraît impossible si nous en croyons notre expérience limitée ». Dans l’hémisphère nord, tous les cygnes sont blancs. On pourrait conclure qu’il n’en existe pas d’autres. Si par hasard on va en Australie et on découvre que les cygnes y sont tous noirs…
le « black swan » possède trois caractéristiques.

1)  il s’agit d’une observation aberrante. Rien, dans le passé, n’a laissé prévoir sa possibilité. (Qu’un Kerviel fasse perdre 5 milliards de dollars à la Société Générale n’a jamais fait partie du plausible  dans une banque perçue comme efficace en contrôles internes).

2) cet événement a des répercussions énormes.  Jérôme Kerviel a déclenché une mécanique dont on ne peut voir toutes les conséquences. La Société Générale sera t-elle rachetée par un concurrent ?  Se relèvera t-elle de ce scandale ?

3) La nature humaine a besoin de rationaliser et voir de la cohérence dans le monde et les événements.
le « cygne noir » est un événement qui fait élaborer "toujours après coup des explications qui le font paraître plus prévisible et moins aléatoire ». Il faut nier à tout prix son caractère inattendu ou improbable.
Les attentats du 11 septembre le montrent. Nul ne les a vus venir, ils ont déclenché une onde de choc qui bouleverse la planète, tout le monde affirme qu’ils étaient prévisibles et qu’on pouvait les empêcher.
De même à la Société Générale, des alertes avaient été lancées, des traders avaient repéré des signes, etc.
ces signes avant-coureurs que les médias énumèrent nous rassurent:  il faudra être plus vigilant et cela ne se reproduira plus.

C'est une manière commode d’évacuer le fait que l’on ne peut prévoir l’imprévisible et que les événements échappent à notre entendement.
L'auteur accuse la philosophie classique et les platoniciens qui ont encouragé l’être humain à préférer « des théories simples à la réalité confuse ».
Nous ne voyons que la courbe de Gauss, c’est-à-dire, quelques rares extrêmes de part et d’autre et une cloche où se concentre la plus grosse moyenne. Or, la courbe de Gauss n’est pas valable pour les « cygnes noirs » qui demanderaient une pensée « probabiliste complexe ». Tremblements de terre, tsunamis ou crises financières appellent des modèles mathématiques plus compliqués que la courbe de Gauss.

Taleb prolonge sa réflexion: nous ignorons le  monde tel qu’il est parce que nous pensons qu'en gros, nous partageons tous le même quotidien. Or, notre monde est de plus en plus régi par des éléments qui échappent à la courbe de Gauss.

Taleb baptise son nouveau monde «Extremistan», ce qui pourrait se résumer par « un monde de toujours plus et d’encore plus ».

Débriefing
Autant la première idée est séduisante, autant le reste est fumeux. Il est exact que le nombre de milliardaires ne cesse d’augmenter comme celui des pauvres. Vrai, que le sommet du panier gagne toujours plus quand le reste du personnel voit son salaire inchangé. Il est vrai aussi que les banques fournissent des illustrations frappantes.
Rien cependant n'est nouveau dans tout ça. D'ailleurs si dans la masse impressionnante d’ouvrages publiés, la plus grosse part va à des best-sellers « de moins en moins nombreux mais qui se vendent encore mieux » , pourquoi voir là le règne de l'extrêmistan alors que c'est encore celui de Gauss ?
Ces approximations comme appeler de ses voeux des modèles mathématiques "probabilistes complexes", feraient presque oublier que c'est exactement ce que font les traders (Taleb est un ex-trader)...
Enfin, ceux qui préférent « des théories simples à la réalité confuse »  aimeront celle des cygnes noirs, qui  me parait fort platonicienne. Comme dit son éditeur : "Dans cet ouvrage éclairant, plein d'esprit et d'impertinence, Taleb nous exhorte à ne pas tenir compte des propos des « experts »". Expert toi même !